La bibliothèque du château d'Oron

Coup d'oeil sur la bibliothèque

Le visiteur qui pénètre dans l'ancienne salle d'audience des baillis bernois (dite aussi salle des chevaliers) ne manque point d'être surpris, voire émerveillé, en découvrant un ensemble de livres aussi important dans cette demeure campagnarde. Mais à l'effet décoratif des reliures anciennes aux ors ternis par le temps s'ajoute un intérêt littéraire de toute première importance que l'on ne devine pas d'abord. Oron peut en effet se vanter de posséder ce que peuvent lui envier les plus grandes bibliothèques, en raison, non pas du nombre (pourtant appréciable), mais de la nature même du fonds principal :

Une bibliothèque de romans, absolument unique dans la mesure où la plupart des titres publiés en français entre 1775 et 1825 environ y figurent; souvent même il s'agit des seuls exemplaires connus !

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Cette collection a toute une histoire, qui mérite d'être contée dans le détail. Les livres qui la composent ont été achetés, au moment de leur parution par une Polonaise illustre dont l'existence fut mouvementée : Hélène Massalska (1763-1815), élevée à Paris au couvent de l'Abbaye-aux-Bois, épouse de prince Charles de Ligne, puis du comte Vincent Potocki, et qui vécut à Paris, puis en Pologne (Kowalowka, Brody), de nouveau à Paris et au château de Saint-Ouen. Lectrice passionnée de romans, elle recevait de divers libraires de Paris, de Moscou ou de Saint-Petersbourg (comme l'attestent les papillons collés dans divers volumes) toutes les nouveautés. Un inventaire dressé par elle-même vers la fin de sa vie indique "20'000 volumes de romans et 20'000 volumes précieux". Après son décès, ses héritiers (sa fille Sidonie de Ligne et le mari de celle-ci, fils d'un premier mariage du comte Potocki) rapportèrent la bibliothèque dans leur château de Brody. (lire l'histoire détaillée "La vie d'une princesse")

Commander "Les mémoires d'une écolière à l'Abbaye-aux-Bois à Paris (1771-1779)" par Apolline Hélène Massalska

 

Oron depuis la gare

C'est là qu'Adolphe Gaiffe, propriétaire d'Oron depuis 1870, en fit l'acquisition, un peu par hasard. Les livres furent installés au château en mai 1883 et réunis aux collections de Gaiffe, bibliophile averti et amis de nombreuses célébrités littéraires (Gautier, Baudelaire, Flaubert, Maupassant, George Sand). Deux ventes partielles amputèrent l'ensemble de livres anciens et d'ouvrages dédicacés à Gaiffe. Le reste, à l'exception de divers dons, pertes ou vols, a été vendu en 1936, avec le château et son mobilier, à l'Association, qui en assure la conservation et qui, par une sage politique d'achats occasionnels (ainsi le fonds Chalon, récemment acquis), cherche à l'accroître et à la compléter.

L'inventaire et la classification actuels ont été établis par M.Maurice Rebetez, bibliothécaire, sous la direction de M. Louis-Daniel Perret de la Bibliothèque Cantonale et Universitaire, à Lausanne et date de 1971.

Revenons un instant encore sur le contenu de la bibliothèque. Dans son état actuel, elle compte 18'000 volumes : 6'000 viennent de Brody (fonds Potocki), le reste des collections Gaiffe ou de diverses provenances. Dans le fonds Potocki, on distingue trois noyaux successifs (grâce à des inscriptions manuscrites, cachets ou ex-libris) : les livres de la famille Potocki (notamment de Viktorya, mère du comte Vincent), les plus anciens, environ un millier; ceux d'Hélène Potocki (sur les 20'000 mentionnés dans l'inventaire, il en resterait un dixième ! mais sans doute le premier chiffre est-il une estimation très exagérée); et ceux de sa fille et de son gendre (2'000 à 2'500 environ). Pour les trois-quarts il s'agit donc de romans, le reste étant des ouvrages historiques, des récits de voyage, des pièces de théâtre, des encyclopédies, etc.) C'est donc essentiellement une bibliothèque de divertissement, et l'on peut y voir ce qu'étaient les goûts du public et les divers aspects de la production romanesque : les romans sentimentaux dominent, puis les romans par lettres, les contes moraux, les romans historiques, les "romans de gaîté" (généralement polissons!) et les romans noirs (brigands, sorciers, fantômes, souterrains, couvents, ruines, forêts mystérieuses, etc.), avec une part importante de traductions de l'anglais ou de l'allemand.

Tous les romanciers de la Révolution et de l'Empire sont présents : Pigault-Lebrun, Ducray-Duminil, Loaisel de Tréogate, Mmes de Krudener, de Genlis, de Souza, Cottin, dont la célébrité est à jamais éteinte, mais aussi Nodier, Stendhal ou le jeune Balzac, dissimulé derrière des pseudonymes ronflants. Et les romanciers suisses : Bridel, S.Constant, Mme Polier de Bottens, Mme de Montolieu, Mme de Pont-Wuillamoz. Oubliés ou célèbres, tous appartiennent à notre patrimoine culturel; la bibliothèque d'Oron est un lieu privilégié pour sa conservation, et l'intérêt sans cesse croissant des chercheurs témoigne de son importance.

Yves Giraud
Professeur de littérature française à l'Université de Fribourg

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