Le château de de Mézery à Jouxtens-Mézery (auf deutsch)

Jouxtens

Autres vues aériennes de Jouxtens- Mézery

Sous le régime bernois, les villages de Jouxtens et de Mézery formaient déjà une communauté, mais sous des régimes différents: alors que Jouxtens dépendait de la juridiction de Lausanne, Mézery constituait une seigneurie à part, dont furent maîtres au XVIIIe siècle les de Crousaz. Notons parmi eux Rodolphe, architecte, qui construisit les églises de Prilly, de Morges et de St Laurent, ainsi que l’hôpital de la Mercerie, bâtiment qui abrite aujourd’hui le gymnase du même nom.

Vue aérienne de la Mercerie

Dans les premières années de l‘indépendance vaudoise, Auguste Constant (1777-1862), ci-devant seigneur d’Hermenches acheta le château et les terres de Mézery; on continua cependant à l’appeler Monsieur d’Hermenches. Sa petite-fille la baronne Henriette (1835), enfant unique, qui allait hériter de Mézery. épousa en 1861 à l’église de Prilly son contemporain et parent Henri de Pückler. Les von Pückler, comtes du Saint Empire, sont une famille noble d’origine silésienne. L’un d’eux, Hermann (1785-1871), qui obtint le titre de prince, est connu pour avoir créé à Branitz sur la Neisse un parc-jardin actuellement protégé par l’Unesco.
La branche Pückler-Constant fut dès lors propriétaire du domaine de Mézery pendant plus d’un siècle, le dernier résident de la famille étant le comte Cyrille (1925-2001), qui s’en dessaisit peu après 1980.Le château, dont l’état d’entretien laissait à désirer, a maintenant passé en mains de propriétaires français qui ont réussi une restauration respectueuse et pleine de goût. Les panneaux muraux du salon-bibliothèque, transportés du château d’Hermenches par Auguste Constant, ont été préservés. Exécutés dans le troisième quart du XVIIIe siècle par le peintre Dalberg. ils reflètent le style galant de l‘époque.

Certains présentent un intérêt historique en rapport avec la famille Constant et la vie lausannoise:

Juste Constant, père de Benjamin, représenté pêchant à la ligne dans un ruisseau;

David Constant d’Hermenches, père d’Auguste et frère de Juste, avec d’autres officiers vaudois lors de la campagne française en Corse en 1768. Il acheva sa carrière militaire avec le grade de maréchal de camp.

Voltaire assistant à Lausanne à la représentation de sa tragédie « Zaïre» (le panneau est incomplet).

David Constant d‘Hermenches connut Voltaire avec qui il entretint un commerce épistolaire et dont il joua les tragédies, avec sa femme, au théâtre que son beau-frère Philippe marquis de Langallerie avait aménagé dans la grange attenante à la maison de Mon Repos. Voltaire fit des séjours à Lausanne entre 1755 et 1759.

De la terrasse, la vue est splendide: elle porte au-delà des prés et des frondaisons sur le lac, la Côte et le Jura. Rien ne laisse deviner la zone industrielle et commerciale de l’ouest , que cache le relief.

En 1794-95, Germaine de Staël séjourna au château de Mézery, où elle eut à subir la cour assidue de Benjamin Constant. Cet épisode fait l’objet du texte ci-après.


A propos du château de Mézery : Mme de Staël et Benjamin Constant

Texte servant de base à un exposé fait au château de Mézery le 16 mai 2004, lors d’une visite guidée organisée par les Rencontres culturelles de Jouxtens-Mézery.

Nous sommes donc au château de Mézery où l’on ne compte plus les personnalités qui s’y sont trouvées à un moment ou à un autre. Je m’attarderai à un épisode, c’est celui où cohabitèrent pendant quelques semaines Mme de Staël et Benjamin Constant. Cohabitèrent, pas forcément dans le sens où vous le supposez. En tout cas ils vécurent sous le même toit, quant à des relations plus intimes à ce moment, rien ne permet de l’affirmer..

L’époque dont je vais vous parler se situe fin 1794, début 1795. Benjamin a 27 ans, Germaine 28.

Madame de Staël (1766 - 1817) à côté du buste de son père, Jacques Necker.
Huile sur toile de Firmin Massot. Château de Coppet

Présentons les personnages. Deux enfants prodiges dès leurs premières années : Benjamin, par exemple jouait avec virtuosité du clavecin à l’âge de 5 ans ; à 18 ans, il a déjà fréquenté trois universités en Angleterre et en Allemagne. A treize ans, Germaine Necker, stimulée par sa mère Suzanne Necker née Curchod, la fille d’un pasteur vaudois, a lu Montesquieu, Rousseau, Dante, Shakespeare.

Deux mal mariés. Benjamin, alors chambellan du duc de Brunswick, épouse à 22 ans une personne de la noblesse allemande, mais la mésentente s’installe très vite au sein du couple et le divorce est en cours. Quant à Germaine, ses parents ont marchandé pour elle – le mot n’est pas trop fort, un baron suédois à qui est promis une charge à vie d’ambassadeur à Paris. Germaine est donc mariée à vingt ans au baron de Staël, de 17 ans son aîné, ne nous étonnons donc pas qu’elle prenne rapidement ses distances. 

Les nombreuse aventures extra-conjugales, voilà aussi un point commun à nos deux personnages. Je vous ferai grâce de la liste des nombreuses flammes de Benjamin, sinon à mentionner la longue amitié presque amoureuse avec une femme qui pourrait être sa mère :Belle de Charrière, née Belle de Thuyll, chez qui, à Colombier/Neuchâtel, il fit plusieurs séjours.

Quant à Germaine, elle a à l’époque qui nous intéresse « deux fers au feu ». si l’on peut ainsi s’exprimer. L’un, c’est Narbonne, ci-devant ministre de la guerre , qui lui doit son titre et qu’elle a aidé à faire évader au lendemain du 10 août ; l’autre : Ribbing, un officier suédois au service de la France.

Tant Mme de Staël que Benjamin ont été témoins d’événements dramatiques. Mme de Staël a vécu sur place les premières années de la Révolution, avec le crescendo qui aboutit à l’épisode du 10 août 1792. Quant à Benjamin, c’est au niveau familial que se situe la tourmente. Colonel au service de Hollande, son père Juste Constant est inculpé par les tribunaux militaires bernois à la suite d’une mutinerie dans son régiment. Une série de procès vont le conduire à la faillite et à la fuite en France : ses belles propriétés du Désert et de la Vallombreuse seront vendues aux enchères, Benjamin réussissant à conserver la Chablière et la maison de la rue de Bourg.

Au niveau de la notoriété, la situation est fort différente. Benjamin est certes connu dans le cercle restreint de la cour de Brunswick, ainsi que dans le microcosme de la société lausannoise, tandis que Mme de Staël est une star à la renommée européenne : elle a partagé la gloire de son père aux heures de son lustre politique, puis elle a brillé dans son salon d’ambassadrice de Suède.

Les personnages campés, venons-en aux faits qui nous intéressent. 1793-1794 : la Terreur. Germaine a fui de Paris, mais s’affaire avec succès à faciliter la fuite hors de France de ses amis. Mieux, elle les héberge et loue à cet effet une maison près de Nyon où se constitue toute une communauté d’exilés. Fin 93, les Necker, en raison de la santé chancelante de Madame, décidèrent de se fixer momentanément au château de Beaulieu, cela pour bénéficier de la présence à Lausanne du célèbre docteur Tissot. Pour rester près de ses parents, Germaine loue dès lors en avril 1794 le château de Mézery, transportant avec elle sa petite troupe d’exilés. En mai sa mère décède.

Benjamin a décidé de secouer ses souliers de la terre de Brunswick, témoin de ses mécomptes conjugaux et se trouve en Suisse romande. Il passe l’hiver 1793-94 auprès de son amie de Colombier où il a installé sa bibliothèque de 4000 volumes. Le 19 septembre 1794, peut-être à l’instigation de Mme de Charrière, il a l’occasion de rencontrer Germaine de Staël à Montchoisi, chez ses cousins Cazenove. Jugement de Mme de Staël : J’ai trouvé ici ce soir un homme de beaucoup d’esprit qi s’appelle Benjamin Constant.

Benjamin, lui est subjugué. Aussi guère d’une semaine plus tard, il se rend à cheval à Coppet où Germaine se trouve momentanément. Il rencontre Mme de Staël dans sa calèche sur la route et elle l’invite à monter auprès d’elle. Mieux, il aura l’espace de vingt-quatre heures le gîte et le couvert.

 Voici ce qu’il écrit une vingtaine d’années plus tard dans  Cécile: Elevée dans la société la plus brillante de France,  elle (Mme de Malbée, nom de couverture de Germaine de Staël )  avait pris une partie des formes élégantes de cette société ; elle avait surtout cette habitude de louer qui distingue les Français de la première classe. Son esprit m’éblouit, sa gaîté m’enchanta, ses louanges me firent tourner la tête. Au bout d’une heure, elle prit sur moi l’empire le plus illimité qu’une femme ait peut-être exercé.  

Voilà donc notre Constant sérieusement accroché, sans être le moins du monde payé de retour. De la Chablière, il commence à devenir un hôte assidu de Mézery, puis il décide de se rapprocher en louant un logement au Bois de Cery, alors petite maison de campagne propriété d’Antoine Polier, officier au service de la Compagnie des Indes. Mme Staël écrit (22 octobre): Il voulait passer sa vie dans mon jardin ou dans ma cour.

Il envisage sérieusement de prolonger son séjour au Bois de Cery le temps qu’il faudra, puisqu’il paie à la commune de Prilly, par avance, la somme non négligeable de 17 florins 6 sols comme taxe d’habitation pour l’année 1795. Lui, payer d’avance, alors qu’il est le plus souvent aux abois avec ses dettes de jeu, voilà qui n’est pas banal. Trace en est conservée dans les comptes de la commune de Prilly.

En décembre se place un incident fameux, qui fit jaser tout Lausanne. Il n’était connu que des sources quelque peu suspectes, mais il est corroboré par une lettre de Mme de Montolieu : c’est celui de la montre cassée. Mme Staël avait permis à Benjamin de l’entretenir jusqu’à minuit. Un soir, persuadé d’être encore dans les temps, Benjamin avait consulté sa montre qui lui donna tort. De rage il brisa l’objet sur le parquet. Il aurait écrit par la suite : Je n’ai pas racheté de montre, je n’en ai plus besoin. Un peu trop vantard, car dans les premières semaines de 1795, Mme de Staël reste toujours éprise de Ribbing trop souvent absent.

Du moins l’incident de la montre va-t-il permettre à Benjamin de se joindre à la petite communauté qui au château de Mézery gravite autour de Germaine. Je me fixai d’abord près d’elle, puis chez elle. Je passai tout l’hiver à l’entretenir de mon amour, écrit-il dans Cécile. Germaine en éprouve un certain agacement :  M. de Constant a pris une passion pour moi dont je ne puis vous donner l’idée ; il se meurt et m’accable d’un degré de malheur qui lui ôte son seul charme, un esprit très supérieur , écrit-elle à son beau Suédois Ribbing.

Une nuit du mois de mars, on entend des gémissements provenant de la chambre de Constant. Les domestiques accourent et trouvent Constant se tordant dans affres de l’agonie. - Au secours ! M. de Constant se meurt ! Les occupants du château se hâtent vers la chambre en chemise de nuit, une bougie à la main. Le moribond demande à Mme Rillet  de prévenir Mme de Staël : - Dites-lui que je meurs pour elle ! que je puisse la voir une dernière fois avant de mourir.

On prévient la châtelaine qui arrive en chemise de nuit. Le spectacle n’est pas très beau du rouquin pâle au visage convulsé.

 - Ah, mon cher Monsieur de Constant, vivez, je vous en conjure.

Le mourant retrouve quelque forces :

 - Puisque vous me l’ordonnez, je tâcherai de vivre !

Et profitant de la proximité et des prérogatives d’un mourant, il saisit le bras de la maîtresse de maison et y dépose un long baiser.

Là-dessus, le médecin que l’on est allé quérir trouve que M. de Constant va beaucoup mieux et les participants flairent la comédie. Restée seule avec Mme Rilliet, Mme de Staël lave son bras nu où se sont posées les les lèvres de Constant. A cette époque, elle avoue en effet que le personnage lui inspire une répulsion presque physique.

Pour un ratage, c’en est un. Mais la parenthèse de Mézery va se fermer pour Mme de Staël. La situation en France a considérablement évolué, les exiles l’un après l’autre reprennent le chemin du pays. Mme de Staël a hâte de retrouver Paris même si elle n’est pas en odeur de sainteté auprès du Directoire. Quant à Benjamin, il paraît désireux de briller lui aussi sur la scène parisienne, et il flaire de bonnes affaires avec la vente des biens nationaux.

Il semble que Mézery ait fermé ses portes dans les premiers jours d’avril. En mai, Mme de Staël et Benjamin prennent ensemble le chemin de Paris où ils arriveront le 25. Dès lors Benjamin va suivre dans nombre de ses déplacements Mme de Staël. Il lui faudra cependant attendre presque une année pour passer de l’état de chevalier servant à celui l’état  du plus heureux des hommes , selon ses propres dires. Pour la suite de cette célèbre liaison, je renvoie, aux biographes de nos deux protagonistes, ou même à l’histoire de France puisqu’on sait le rôle qu’ils y jouèrent à l’époque.

L’épisode de Mézery, dont les côtés anecdotiques ne donnent pas toujours le beau rôle à Benjamin Constant, ne doit pas occulter la dimension exceptionnelle du personnage. En ce pays on n’en retient trop souvent que quelques facettes : le roman  Adolphe , vague souvenir du temps des études, la liaison avec Mme de Staël, le salon de Coppet, la maison de la Chablière.. Que cet adversaire acharné de Napoléon soit l’homme à qui l’empereur, revenu de l’île d’Elbe, confie la rédaction d’une constitution pour la France, voilà qui en dit long sur l’admiration qu’il lui portait malgré tout. Benjamin Constant fut avec courage un défenseur du libéralisme contre l’absolutisme, un champion de la démocratie parlementaire. Dès la Restauration, il fut à la Chambre le chef de file de l’opposition. A son décès à la fin de 1830, année qui avait vu en partie triompher ses idées avec la révolution de Juillet, la France lui fit des obsèques nationales.

Le personnage et ses oeuvres restent l’objet d’études approfondies, que centralise l’Institut Benjamin Constant de l’université de Lausanne. La parution de ses oeuvres complètes, actuellement en cours, est une vaste entreprise de caractère international ; elle comprendra 36 gros volumes pour les écrits divers et 18 pour la correspondance. Les oeuvres littéraires proprement dites n’occupent qu’un seul volume. Autres exemples de sa très large renommée encore actuelle: la « Société des amis de Benjamin Constant » compte des membres jusqu’aux Etats-Unis et au Japon, et une université brésilienne porte son nom .

Sources :

Prilly, le 15 mai 2004 André Schertenleib

Bibliographie

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