Château d'Oron: Le dernier baili d'Oron et les Mulinen après 1798

1. Le contexte du début de l'année 1798

Le territoire de la Ville et République de Berne comprend 54 circonscriptions administratives et judiciaires généralement nommées «bailliage». Les bailliages ont tous les mêmes rôle et fonction, sans différence entre le Pays allemand et le Pays romand.

Le bailli est le représentant du gouvernement; il administre son bailliage et préside la cour baillivale qui comprend le lieutenant baillival, trois assesseurs et un secrétaire.

Le bailliage d'Oron fut créé en 1557, à la suite du démembrement et du partage du comté de Gruyère entre Berne et Fribourg. Il comprend les terres des seigneuries d'Oron, de Palézieux et celles de l'ancienne abbaye de Haut-Crêt y compris son vignoble du Dézaley, ainsi que des droits sur une partie de Chardonne, Corsier et Jongny. A Oron, la cour baillivale est une cour d'appel pour quatre cours de justice inférieures.

Les baillis sont choisis parmi les membres du Grand Conseil et nommés pour un mandat non renouvelable de 6 ans (5 ans pour les bailliages communs de Berne et Fribourg comme Echallens et Grandson). La fonction de bailli est un passage obligé pour accéder au Petit Conseil et aux charges supérieures jusqu'à celle d'avoyer.

Le Petit Conseil comprend 27 membres et est le véritable gouvernement qui tient séance presque tous les jours comme son appellation allemande de «Täglicher Rat» l'indique. Le Grand Conseil au contraire se réunit rarement au complet, les baillis notamment demeurant à leur poste.

Le Grand Conseil ne connaît pas d'incompatibilités, ce qui permet à plusieurs membres d'une même famille de siéger ensemble dans cet organe.

Au Petit Conseil par contre, aucune famille ne peut être représentée par plus d'une personne. Cette restriction n'exclut évidemment pas la présence simultanée de proches parents appartenant à des familles différentes.

Un tel système avec des fonctions assumées par de proches parents était encore courant à l'époque, quoique déjà de plus en plus mis en question. Il importe néanmoins de le voir dans le contexte européen où le système oligarchique de Berne était beaucoup plus ouvert que celui des monarchies, le système dominant d'alors. Il suffit de considérer le mode d'élection au Petit Conseil. Les candidats ayant obtenu le moins de suffrages du Grand Conseil étaient éliminés par scrutins successifs. Dès qu'ils n'en restaient plus que quatre, le tirage au sort intervenait: les deux tirant une boule dite «ballotte» blanche étaient éliminés tandis qu'un dernier scrutin opposant les deux candidats ayant tiré une ballotte dorée déterminait l'élu.

Au début de 1798, quatre Mulinen siègent au Grand Conseil: Jean-Rodolphe le bailli d'Oron, Béat-Emmanuel-Nicolas (ancien bailli de Köniz près de Berne), Gottlieb-Emmanuel et Nicolas-Frédéric (ce dernier élu en 1795 et futur avoyer sous la Médiation et la Restauration).

A la tête du Petit Conseil se trouve l'avoyer Albert de Mulinen (qui fut bailli de Laupen) en alternance annuelle avec Nicolas-Frédéric de Steiger, le dernier avoyer régnant de l'ancien régime.

Les liens avec le Pays de Vaud sont étroits: le futur avoyer Albert de Mulinen est reçu bourgeois de Montcherand où il possède un domaine et assume pendant six ans la charge de trésorier du Pays romand («Welschseckelmeister»). Son épouse est Caroline de Goumoens de la famille vaudoise entrée au patriciat de Berne, tout comme celle de Wolfgang-Charles de Gingins, le dernier trésorier du Pays romand, qui par sa mère née Mulinen est cousin germain tant de l'avoyer Albert que du bailli d'Oron.

2. Le dernier bailli d'Oron

de Mulinen

de Mulinen
de Mulinen

Jean-Rodolphe de Mulinen est le fils de Nicolas, membre du Grand Conseil et successivement «Rathausammann» (administrateur général de l'hôtel du gouvernement) et bailli de Grandson, et de Marguerite de Diesbach (issue de la branche devenue protestante et restée bernoise, contrairement à la branche restée catholique et devenue fribourgeoise). Voir les portraits ci-dessus.

Né en 1746 à Grandson, il sert d'abord dans l'armée de Sardaigne. De retour à Berne, il est élu au Grand Conseil en 1785 et devient commandant de la garnison de Berne puis du régiment de l'Oberland. En 1794, il est nommé bailli d'Oron.

Son épouse est Charlotte-Eléonore de Gross née à Bruxelles, fille de François Gabriel (qui fait toute sa carrière au service de Hollande où il parvient au grade de général-major avant de se retirer à Berne) et de Charlotte de Villates. De leur union naissent deux fils. Le cadet Alexandre-Emmanuel décède accidentellement à Oron en 1796 à l'âge de cinq ans et est enseveli à l'église de Châtillens où sa pierre tombale est encastrée dans un mur extérieur.

Le dernier bailli quitte le château d'Oron le 25 janvier 1798. Pour lui, la chute de Berne six semaines plus tard constitue une cassure définitive qui précipite sa fin. Atteint dans sa santé, il se rend à Stuttgart et décède en 1801 à Anspach en Bavière.

L'histoire du bailliage et la vie au château d'Oron du temps du dernier bailli et son départ ont déjà été relatés dans les bulletins de l'Association pour la conservation du château d'Oron.

Notons enfin que Jean-Rodolphe est le second Mulinen a avoir été bailli d'Oron. En effet, Samuel de Mulinen, ancien bailli de Grandson, est nommé en 1577 à Oron, mais y décède déjà l'année suivante.

3. La période d'incertitude: 1798 - 1803

Après le départ des baillis à fin janvier et leur repli sur Berne, le Pays de Vaud devient un canton avec son organisation et ses organes propres, tous étant créés par des hommes nouveaux sur des bases nouvelles.

La prise de la ville de Berne par les troupes françaises le 5 mars 1798 change tout pour la République de Berne même. Comme pour les autres anciens cantons souverains, les changements sont trop brusques avec l'avènement précipité de la République helvétique. Il en résulte une période incertaine et de dissensions internes amenant l'intervention d'armées étrangères.

Pour mettre fin à cette situation qui ne satisfait personne, il faut le génie du Premier Consul Bonaparte qui dote la Confédération de l'Acte de Médiation. Dorénavant anciens et nouveaux cantons collaborent à égalité. Les anciens cantons souverains se redonnent leurs structures d'avant, mais sur une base plus large.

Quelle est dans tout cela la destinée des anciens dirigeants bernois? Les uns ont disparu dans la tourmente ou restent à Berne, mais en se tenant à l'écart de la politique. D'autres demeurent sur place et sont prêts à répondre à un appel pour servir à nouveau l'Etat. Ceux d'une troisième catégorie enfin se tournent vers l'étranger.

Chez les Mulinen, deux lignes d'action sont choisies et suivies, initiées l'une à Berne par le fils de l'avoyer Albert et l'autre à l'étranger par le fils du dernier bailli d'Oron.

4. Continuité au service du Canton de Berne dès 1803

En prélude à sa médiation, le Premier Consul reçoit à Paris les délégués des Cantons, dont Nicolas-Frédéric de Mulinen (1760-1833), le fils de l'avoyer Albert. Il entend laisser les cantons libres de se doter de l'organisation interne qui leur convient à chacun, à condition d'introduire des élections populaires.

Sur cette base, l'accès au Grand et au Petit Conseil est ouvert aux citoyens de la campagne. Les membres élus en 1803 au Grand Conseil sont pour la plupart issus de l'ancien régime ou favorables à celui-ci. Afin d'assurer la continuité au niveau gouvernemental, il est fait appel pour les fonctions d'avoyer à deux hommes ayant encore servi dans l'ancien Grand Conseil, mais connus pour leur esprit modéré: Rodolphe de Watteville et Nicolas-Frédéric de Mulinen.

Bientôt le nouvel avoyer de Mulinen peut écrire à Talleyrand: «Quoique l'acte de médiation du premier consul ait froissé quelques intérêts individuels et quelques opinions politiques très exaltées dans les deux extrêmes, il est certain que la très grande majorité de la nation a reçu cet acte avec satisfaction et avec reconnaissance.»

Les bonnes relations entre ville et campagne lui tiennent particulièrement à coeur. Depuis le combat victorieux de Neuenegg en mars 1798 contre les troupes françaises avec sa compagnie de grenadiers de l'Oberland, il demeure très attaché à cette région. Aussi c'est lui l'initiateur des fêtes des bergers à Unspunnen.

Fidèle à une tradition de plusieurs générations, c'est dans l'histoire des institutions que l'avoyer puise le savoir qu'il met au profit du Canton et de la Confédération. C'est dans cet esprit qu'il fonde la première Société suisse d'histoire dont il demeure l'âme sa vie durant.

Pour des raisons de santé, il renonce à la fonction d'avoyer à fin 1806, mais demeure membre du Petit Conseil. Il est à nouveau élu avoyer en 1814, charge qu'il conserve jusqu'en 1827.

L'action de l'avoyer se déroule au niveau cantonal, confédéral et international. Au plan suisse, il représente son canton à la Diète fédérale. En cette qualité, il signe en 1815 les actes de réunion de Neuchâtel, du Valais et de Genève à la Suisse, puis le Pacte fédéral qui met un terme à la Médiation et introduit la période de la Restauration. Nidwald s'étant tenu à l'écart du Pacte fédéral pour des raisons de dissensions internes, la Diète y envoie trois commissaires dont Mulinen qui obtiennent finalement l'adhésion du demi-canton.

Au plan international, il se rend au Congrès de Vienne qui s'avère d'importance capitale pour l'avenir de la Suisse en reconnaissant sa neutralité. Il y établit des contacts et des relations avec les dirigeants et représentants des Etats les plus en vue d'Europe. Son action lui vaudra la reconnaissance personnelle des souverains d'Autriche, de France et de Prusse notamment.

Sous la Restauration, les affaires fédérales sont dirigées en tournus et pour deux ans par Zurich, Berne et Lucerne en tant que Vorort. Il est ainsi amené à présider la Diète fédérale comme avoyer régnant de Berne en 1818 et en 1824.

Le fils de l'avoyer Nicolas Frédéric, Godefroy (1790-1840) est major à l'Etat-Major Fédéral et entre en 1821 au Grand Conseil. Il est bailli de Nidau de 1822 à 1831, le dernier sous la Restauration. Soucieux de promouvoir le bien-être et les conditions économiques des habitants du bailliage, il fonde en 1824 la caisse d'épargne de Nidau qu'il préside jusqu'à la fin de son mandat de bailli.

La révolution de juillet 1830 entraînera en Suisse la Régénération qui mettra à Berne un terme à l'ancien régime rénové. Pour les Mulinen, ce sera la fin des fonctions politiques bernoises, à l'exception de Godefroy qui sera encore élu en 1831 au conseil législatif de la ville de Berne, où il siégera jusqu'en 1838.

Leurs descendants sont en premier lieu historiens, mais également ingénieurs ou juristes engagés dans le service public, l'industrie ou l'économie privée, et servent dans l'armée fédérale. L'un d'eux aura une destinée très particulière: naturalisé en Prusse et expert des langues et cultures d'Asie mineure, il est rattaché à l'ambassade allemande à Constantinople et devient, enfin, chambellan de l'Impératrice d'Allemagne.

5. Dans le service diplomatique d'Etats étrangers

Seul fils à survivre au dernier bailli d'Oron, Rodolphe de Mulinen (1788-1851), venu à Stuttgart avec ses parents en 1798, y prend racine, guidé par sa mère veuve.

Après avoir passé à l'école d'ingénieurs de Vienne, il fait dès 1806 carrière dans le nouveau royaume de Wurtemberg, où il sert d'abord dans la cavalerie. Il passe ensuite au service diplomatique comme secrétaire de légation en Westphalie, puis devient conseiller de légation à St-Petersbourg.

En 1812 il est affecté à l'entourage du prince héritier Guillaume de Wurtemberg, et prend part à la campagne de Russie. Il sillonne avec lui l'Europe dans les guerres napoléoniennes et devient son adjudant. Après l'accession du prince-héritier au trône de Wurtemberg, Rodolphe est nommé en 1818 ministre plénipotentiaire auprès du Grand-Duc de Bade et en 1820 à Paris, fonction qu'étant très proche du Roi, il assume jusqu'en 1838.

Pendant ses 18 ans de mission à Paris, Rodolphe de Mulinen a de nombreuses occasions de contacts avec son cousin l'avoyer Nicolas-Frédéric, ce qui est bénéfique pour eux et leurs pays respectifs.

Les deux fils de Rodolphe suivent la voie initiée par leur père et deviennent également diplomates, toutefois avec moins d'éclat et au service de deux autres Etats.

L'aîné, Guillaume (1823-1863), dont le Roi et la Reine de Wurtemberg sont les parrain et marraine, s'en va servir la France et assume au Brésil la charge de secrétaire de légation de Napoléon III.

Le cadet, Rodolphe (1827-1898) entre dans le corps diplomatique d'Autriche qu'il représente comme ministre plénipotentiaire successivement à Stockholm et à La Haye.

La branche descendant du dernier bailli d'Oron s'est éteinte en Autriche en 1934.

Frédéric de Mulinen

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