Château d'Oron: ADOLPHE GAÏFFE (1830-1903) - UNE VIE ARDENTE par Alain Becker

Adolphe Gaïffe est né le 7 juin 1830 à Mulhouse (Haut-Rhin) dans une famille protestante. Son père, Jean-Nicolas Gaïffe, était graveur sur rouleaux, c'est-à-dire qu’il dessinait des motifs d’étoffes afin de permettre leur impression par encrage et pression de rouleaux métalliques (un par couleur). Sa mère, Judith-Louise Schreiber-Gaïffe était mère au foyer.
Son père ayant été appelé à travailler en Normandie, il fit tout à la fois des études de lettres classiques et des études scientifiques à Rouen, puis à Paris. C’est ainsi qu’il devint très jeune un spécialiste renommé en matière de chimie alimentaire comme élève, puis préparateur du professeur Anselme Payen au CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET DES METIERS. Adolphe Gaïffe était ce que l’on nomme aujourd’hui un surdoué. Et ce surdoué, encore adolescent, participait à la vie scientifique de son temps dominée, au milieu des années 1840, par les recherches sur les diastases, les levures et les fermentations. Cette activité scientifique l’amena à travailler avec Marcelin Berthelot, Eduard Buchner et Louis Pasteur, ainsi qu’à rédiger de nombreuses communications pour l’ACADEMIE DES SCIENCES et diverses publications ouvertes à la vulgarisation scientifique. En effet, notre jeune homme savait écrire et aimait à tenir la plume de savants, grands découvreurs et créateurs, mais bien en peine de se faire correctement comprendre du public nécessaire au financement et à la poursuite de leurs travaux.

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Dès ce moment, Adolphe Gaïffe est un «passeur d’idées et d’influences», un passeur puissamment marqué par sa curiosité, ses préoccupations religieuses et son goût du débat démocratique – ce qui lui sera violemment reproché après 1871 où on l’accusera de participer trop efficacement à une «protestantisation de la France républicaine». Mais Gaïffe n’en a cure. Comme il n’appartient pas aux clans des punaises de sacristie et qu’il prend bien soin d’échapper à toute entreprise cléricale qu’elle quelle soit, ces reproches glisseront sur lui sans l’atteindre. De plus, Adolphe Gaïffe n’est pas intéressé par la conquête de places, que ce soit pour lui ou pour ses enfants. Son influence restera dans les domaines techniques, idéologiques et culturels. Pas passéiste pour deux sous, il croit aux vertus de la modernité qui, en France, à l’époque, venait de l’Europe protestante et des Etats-Unis. Il est plus proche de Kant que de Chateaubriand, des ingénieurs que des politiciens et agace nombre de conservateurs par une incroyable aisance en toutes circonstances

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Les articles du jeune Gaïffe attirèrent tout de suite l’attention des fils de Victor Hugo qui lui confièrent, à partir d’août 1848, les rubriques scientifiques du quotidien l’Evénement qu’ils venaient de créer avec Auguste Vacquerie et Paul Meurice pour diffuser les idées sociales de leur père et l’aider à combattre l’esclavage et la peine de mort (en juin 1851, Charles Hugo sera condamné à six mois de prison ferme pour ses articles vigoureux contre la peine capitale). Inquiet des désordres engendrés par la révolution de février 1848, ce journal a d’abord appartenu au parti de l’ordre et soutint Alphonse de Lamartine jusqu’en octobre, puis Louis-Napoléon Bonaparte aux élections du 10 décembre 1848. Le neveu de Napoléon Ier y triompha sans partage, mais, au désespoir des Hugo, commença aussitôt à se transformer en Napoléon III. De ce fait, très occupé de politique, Vacquerie abandonna progressivement son rôle de critique littéraire et de feuilletoniste : c’est Adolphe Gaïffe qui prit alors immédiatement sa place en enchaînant critiques dramatiques et feuilletons littéraires.

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De gauche à droite: Charles Hugo (1826-1871) - François-Victor Hugo (1828-1873) - Victor Hugo (1802-1885)

Face à l’effacement progressif de la IIème République, l’Evénement s’inquiéta et tenta en vain de mobiliser contre l’arrivée redoutée du Second Empire. En 1851, le 9 septembre, il fit scandale en réclamant le droit d’asile pour les proscrits étrangers. Le gouvernement saisit cette occasion pour jeter en prison François-Victor Hugo et Paul Meurice, puis il interdit le journal le 18 septembre. A l’initiative de Victor Hugo, le journal change alors de structure en une nuit et reparaît dès le lendemain sous un nouveau titre : l’Avènement du peuple. Mais l’influence des Hugo demeure limitée, comme celle de leurs amis. Aussi, le coup d’Etat du 2 décembre rétablit-il l’Empire sans grande opposition. D’autres collaborateurs du journal sont arrêtés, ce qui contraint Victor Hugo à partir en exil dès le 11 décembre. Adolphe Gaïffe, qui n’a alors que vingt et un ans, tente en vain de faire vivre l’Avènement, mais il doit à son tour très vite s’incliner…
Durant toute cette période, Adolphe Gaïffe entretint des relations suivies avec le pasteur d’origine suisse Frédéric Monod, dit «Monod fils» dont il appréciait la ferveur tumultueuse et avec qui il partageait les efforts de la propagande anti-esclavagiste. Frédéric Monod s’était fait par ailleurs l’ami d’un homme aussi conventionnel d’apparence qu’il était fougueux de caractère : Agénor de Gasparin. Ce dernier, né à Orange, descendait par sa mère du pasteur ardéchois Jean de Serres, frère de l’illustre agronome, et par son père était fils d’un ancien ministre de Louis-Philippe : le calme extérieur de ce député conservateur cachait un tempérament passionné et entier. Il réclamait avec insistance l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises et fut un précurseur de la reconnaissance du droit des femmes - ce qui, à l’époque, n’allait pas de soi. Gaïffe l’aida dans ses efforts pour la création d’hôpitaux ouverts à tous.

Le plébiscite du 21 décembre 1851 ayant ratifié le coup d’Etat, Adolphe Gaïffe s’investit alors dans l’opposition républicaine pour se poser en adversaire absolu du Second Empire. Il défendit avec passion le protestantisme français lorsque le décret du 25 mars 1852 restreignit la liberté de réunion et que diverses fermetures de temples et d’écoles protestantes intervirent en 1853 (Agénor de Gasparin lui, furieux, s’était volontairement exilé en Suisse). C’est au cours de ces années que naîtra l’amitié d’Adolphe Gaïffe avec Charles Baudelaire, Gustave Courbet et le photographe Etienne Carjat qu’il connu chez Théodore de Banville. C’est aussi à ce moment là qu’il se liera avec Alexandre Dumas fils, Gustave Flaubert et tout ce que la France comptait alors d’artistes non officiels ou d’intellectuels contestataires. Parmi ces derniers, se trouvaient les cinq fils du pasteur revivaliste Jacques Reclus (Armand, l’explorateur ; Elie, l’ethnologue ; Elisée, le géographe ; Onésime, le géologue ; Paul, le chirurgien) et la plus influente de leurs cousines, Pauline Reclus-Kergomard à qui Jules Ferry devenu ministre de l’INSTRUCTION PUBLIQUE confiera la refondation et le développement des écoles maternelles. C’est aux côtés de Pauline qu’Adolphe Gaïffe participera à l’inauguration, le 7 novembre 1879, des nouveaux bâtiments de la FACULTÉ LIBRE DE THÉOLOGIE PROTESTANTE DE PARIS. Il avait rédigé le discours de Jules Ferry, discours dont la première phrase souleva un tonnerre d’applaudissements : le protestantisme a été, dans l’histoire moderne, la première forme de la liberté ! (l’épouse de Jules Ferry, Eugénie Risler-Kestner, était, comme Gaïffe, issue d’une famille protestante alsacienne comptant parmi ses membres des républicains ayant laissé une trace dans l’histoire : le colonel Charras, proscrit du 2 décembre 1851 ; Charles Floquet, président du Conseil et anti-boulangiste ; Auguste Scheurer-Kestner, le sénateur qui initia la reconnaissance officielle de l’innocence du capitaine Dreyfus).


L’amitié d’Adolphe Gaïffe avec Théophile Gautier et Théodore de Banville est plus curieuse car, autant Gaïffe est engagé dans les combats de son temps, autant Gautier et Banville aiment à se réfugier dans l’art pour l’art (à un moment où Gautier défendait en public l’absolue nécessité de la neutralité de l’artiste, Gaïffe le prit dans ses bras pour lui dire : je t’aime beaucoup, et pourtant, pour moi, la littérature est un état violent dans lequel on ne se maintient que par des moyens excessifs !). De fait, malgré leurs différences, Gaïffe et Gautier publièrent en avril 1853, avec Louis de Cormenin et Paul de Saint-Victor un ouvrage, commun intitulé : un salmis de nouvelles.
Adolphe Gaïffe fréquentait aussi les frères Goncourt car ils collaboraient tous les trois à la Revue de Paris où il y eût une période assez amusante : le 7 novembre 1852, ce journal annonce que sa rédaction est modifiée d’une manière aussi neuve que piquante avec numéro des lundis entièrement rédigés par Cornélius Holff ; ceux des mardis par Adolphe Gaïffe ; ceux des mercredis par Edmond et Jules de Goncourt et ceux des vendredis par Alphonse Karr…Mais avec le temps, les relations Gaïffe/Goncourt vont se distendre du fait de l’antisémitisme maladif des auteurs du célèbre journal que va fortement accentuer leur relation avec Alphonse Daudet. Gaïffe s’indignait d’entendre les Goncourt affirmer qu’ils n’aiment pas les Juifs et que c’est un sacrifice pour eux que d’en saluer un (journal , 2 septembre 1866). En effet, en protestant, très attaché à l’Ancien Testament, Gaïffe conserve de nombreuses amitiés israélites, en particulier Catulle Mendès (un des plus fidèles soutiens de Baudelaire), Moïse Millaud (le créateur du petit journal) et son neveu Mardochée-Alphonse (confrère de Gaïffe à La Presse), les frères Péreire, etc…
L’anti-judaisme et l’anti-protestantisme atteignaient alors des sommets. On les confondait d’ailleurs souvent, quitte à les mêler et le qualificatif « judéoprotestant » se voulait particulièrement injurieux (il fut créé pour stigmatiser la conversion au protestantisme de certains membres de la famille Pereire : on accusait alors Adolphe Gaïffe de «cacher le juif derrière le protestant»). Ainsi, dans un des délires dont il était coutumier, et qui n’était pas sans influence, Charles Maurras trouvait alors aux Juifs une sorte d’atténuation de responsabilité car ils ont une patrie mystique, une Jérusalem à restaurer. Mais les protestants étaient pour lui, comme pour l’ACTION FRANÇAISE, une sorte de Juif que l’on ne reconnaîtrait pas au premier coup d’œil : notre envahisseur protestant ne se met pas en uniforme. Les couleurs ennemies sont portées sous la peau ! Ce sont d’abord les Monod qui sont visés, eux qui sont originaires de Genève, ville qui a le tort de s’être refusée à la France et d’avoir adopté Calvin ; eux dont certains épousent des étrangères. Mais les autres en prennent aussi pour leur grade, comme Gaïffe, né en Alsace et donc peut-être Allemand (après le traité de Frankfort, Adolphe Gaïffe optera volontairement pour la nationalité française le 31 juillet 1872) ou son ami Enrico Cernuschi qui a le tort d’être franc-maçon et, alors qu’il aurait pu y échapper, s’est fait enfermer dans Paris lors du siège de 1870 pour soutenir ses amis français : mais Cernuschi était milanais, donc, même naturalisé français après la défaite, un impur. C’est contre ce genre de sottises qu’Adolphe Gaïffe combattra toute sa vie.

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Adolphe Gaïffe (huile de Theodore Axentowicz)

On à peine à imaginer aujourd’hui la place que tenait la presse au XIXème siècle : il n’y avait alors ni radio, ni télévision : tout passait par l’écrit. Et comme les pouvoirs politiques étaient très contraignants, la vie des journaux et revues relevait parfois du martyrologue : les publications pouvaient disparaître du jour au lendemain, quitte à reparaître très vite, et d’une manière tout aussi aléatoire… La Revue de Paris en est un bon exemple. Elle fut lancée en 1851 par une bande d’amis qui cachaient leurs opinions politiques sous couvert de littérature. Elle était animée par Théodore de Banville, Louis de Cormenin, Maxime Du Camp, Adolphe Gaïffe, Théophile Gautier, Arsène Houssaye et Alphonse de Lamartine. Elle courait de suspensions en procès perdus puis contournés par de spectaculaires reparutions sous différentes entités juridiques. L’audace et le courage ne lui faisaient jamais défaut. La clairvoyance non plus. C’est ainsi que dès le mois de mai 1852, les animateurs précités prennent le risque de réclamer l’indépendance de l’Algérie avant qu’elle ne nous mette dehors à moins qu’approche le moment où nous ferons en Algérie autre chose que ce que nous y avons fait jusqu’ici à l’égard des populations indigènes car il faudra bien qu’un jour ou l’autre nous songions à tirer parti de cette admirable race arabe…

Dix ans plus tard, dans La Presse, Adolphe Gaïffe est tout aussi percutant : lui qui connaît son Tocqueville par cœur, lui qui fréquente les pasteurs Monod et Agénor de Gasparin, lui qui est un optimiste de nature ne décolère pas de voir la France du Second Empire prendre le parti des États du sud lors de la guerre de Sécession. Élisée Reclus, qui avait vécu en Louisianne lui avait raconté l’archaïsme cruel de l’esclavage (c’est même là qu’il perdit la foi en entendant des pasteurs prêcher la soumission aux esclaves). Instruit par Reclus, Gaïffe prédit la victoire de l’industrie du nord sur le ruralisme passéiste du sud. Il clame qu’il n’était pas nécessaire d’envoyer La Fayette et Miolis participer à la guerre de l’Indépendance si s’est pour s’acoquiner ensuite avec des esclavagistes. Il prédit qu’après la victoire de l’Union, les États-Unis en viendront à mépriser profondément la France, pays de toutes les compromissions…
Jeune homme pressé, Adolphe Gaïffe menait toujours plusieurs activités à la fois. Journaliste politique et littéraire à Paris, il était aussi promoteur des chemins de fer au Portugal - ce dont ce pays lui sera toujours très reconnaissant. Voici ce qu’écrivit à ce sujet en 1857 Charles Monselet dans son dictionnaire des auteurs : GAIFFE Adolphe Gaillard qui ne mord pas à la mansarde, non plus qu’aux comédies en cinq actes et en vers, entreprises dans l’hiver, sans feu, avec la seule espérance de les voir représentées au bout de dix ans. D’abord élève du chimiste Payen, puis archéologue, Adolphe Gaïffe a jeté tout à coup son bonnet de savant par-dessus le Moulin-Rouge. Il s’est fait un à peu près de style avec les procédés combinés de Henri Heine, d’Auguste Vacquerie et de Polichinelle…
Au milieu du XIXème siècle, Adolphe Gaïffe a la réputation d’être un touche à tout génial, scientifique le jour, littérateur la nuit. C’est un homme qui n’a peur de rien et ce d’autant plus qu’il entretien sa forme physique en pratiquant l’escrime à haute dose. Aussi, plusieurs publications l’envoient-elles comme «reporter» (le mot est alors aussi neuf que l’emploi) «couvrir» les guerres d’où naîtra l’unité italienne entre 1859 et 1861. C’est le moment de nouvelles amitiés avec les Bixio, Henri Dunant et Giuseppe Garibaldi. Ces nouvelles amitiés vont d’ailleurs se mêler aux anciennes : Olivier Bixio partira explorer l’isthme de Panamá et rencontrer les Indiens Cunas avec Armand Reclus, Garibaldi viendra avec ses chemises rouges combattre les Prussiens en Bourgogne afin de soutenir par les armes la République française très affaiblie suite aux désastres de 1870.
Adolphe Gaïffe fut ainsi un personnage incontournable de la deuxième moitié du XIXème siècle. On le retrouve partout : dans des romans à clefs comme les hommes de lettres des frères Goncourt (sous le nom de Florissac), au Portugal, en Scandinavie et en Turquie comme promoteur des chemins de fer dus à l’esprit d’initiative des frères Péreire et du CRÉDIT MOBILIER, ou à l’Élysée pour des démonstrations d’escrime... Son influence essentielle sera cependant de nature politique car c’est lui qui sera l’infatigable rédacteur-en-chef adjoint du plus puissant quotidien libéral et républicain de l’époque, La Presse. Il en sera d’ailleurs souvent le patron de fait à cause de l’indisponibilité de ses propriétaires. Les frères Goncourt qui s’en irritaient, se plaignant de voir en lui un protestant trop proche des juifs, écrivent à son sujet en 1862 : nous lui parlons de la facilité du métier d’écrivain politique qu’il fait si facilement, qu’il a su du premier coup… Et Gaïffe de répondre par une pirouette !

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Le 30 janvier 1865, Adolphe Gaïffe épouse la filleule d’Eugènie Fort et de Théophile Gautier, Marie-Eugénie Renom, alors âgée de 19 ans et rencontrée un an plus tôt : sa grande beauté et sa finesse d’esprit l’ont rendu - pour le restant de sa vie - éperdument amoureux. Marie-Eugénie se produisait jusque là comme danseuse classique à l’OPÉRA sous le pseudonyme de Marie Vernon. Du fait de son mariage, elle quitte aussitôt l’Opéra, au grand regret de ses admirateurs. Le jeune couple quitte alors Paris pour s’installer à Maisons-sur-Seine (aujourd’hui Maisons-Laffitte) afin d’y élever au bon air ses enfants à venir. De fait, de cette heureuse et fidèle union naîtront trois enfants : Jean, Daniel et Louise.


Une légende tenace fait d’Adolphe Gaïffe l’héritier d’une famille d’industriels lyonnais alors qu’il est, comme son épouse, d’origine modeste et n’a dû sa fortune qu’à son seul travail. Les Goncourt disaient de lui qu’il était le dernier des fils de famille sans famille ! Cette légende vient du fait qu’il avait un homonyme, Ladislas Gaïffe (Nancy 16 janvier 1832 / Paris 9 avril 1887) qui se faisait appeler, on ne sait trop pourquoi, «Adolphe Gaïffe». Ce Ladislas-Adolphe avait créé à Paris l’entreprise de constructions électriques ADOLPHE GAÏFFE qui était très avancée pour son époque. Socialement d’abord, puisque son personnel était intéressé aux bénéfices. Scientifiquement ensuite, avec l’invention des piles électriques au sesquioxyde de fer et au chlorydrate d’ammoniaque. Techniquement enfin, avec la construction de dynamos, fers à souder, galvanomètres, magnétos et moteurs. Ce deuxième Adolphe Gaïffe écrivit lui aussi beaucoup d’opuscules de vulgarisation et partageait les opinions politiques et les fréquentations scientifiques de son homonyme. Mais alors que la descendance d’Adolphe-Ernest va s’ éteindre dans le dénuement, celle de Ladislas-Adolphe va connaître une ascension glorieuse en créant des appareils d’électrothérapie (dont les premiers appareils de radioscopie) et en se fondant ensuite dans la THOMSON-HOUSTON.
En 2003, nombreux sont les collectionneurs qui recherchent des appareils GAÏFFE ou des opuscules et des livres écrits par les deux Gaïffe (on les trouve tant chez des revendeurs spécialisés que sur Internet). Et la confusion entre les deux Adolphe est fréquente – il est vrai qu’au XIXème siècle Adolphe-Ernest et Ladislas-Adolphe s’amusaient eux-mêmes à l’entretenir ! C’est qu’ils partageaient un grand projet commun : celui d’électrifier les chemins de fer. Le Gaïffe de Lorraine avait conçu des locomotives électriques de démonstration dès 1855 et son homonyme d’Alsace avait tenté d’orienter les compagnies de chemins de fer dans cette voie. Hélas pour eux deux : les mentalités de l’époque n’étaient pas du tout prêtes à investir dans des machines qui en étaient encore à leurs premiers balbutiements puisque l’électricité était loin d’être partout disponible en quantité suffisante et à un coût compétitif. Ce pari sur l’avenir paraissait complètement fou et ce n’est qu’au tournant du siècle qu’apparut la pertinence de la vision de nos deux amis considérés par ailleurs comme des «gêneurs sociaux» du fait des prises de positions politiques de l’un et parce que l’autre intéressait son personnel depuis 1855 aux bénéfices de son entreprise de constructions électriques.


Combattu sans succès de l’intérieur, le Second Empire devait s’effondrer de l’extérieur du fait de la guerre avec la Prusse déclarée le 19 juillet 1870. En effet, suite aux défaites de Reichsoffen, Gravelotte et Sedan, Napoléon III capitula dès le 2 septembre. On sait l’extraordinaire sursaut patriotique et républicain qui a suivi, avec levées en masse de volontaires équipés de bric et de broc, sans entraînement réel ni moyens de communication efficaces. Face au professionnalisme prussien, l’ARMEE DE L’EST, dite «armée Bourbaki», partie pour délivrer Belfort, perd la bataille d’Héricourt le 17 janvier 1871. La faim, le froid d’un hiver rigoureux et l’impéritie du commandement feront le reste. S’occupant depuis longtemps de chemins de fer, Adolphe Gaïffe y a connu son coreligionnaire le marseillais Louis-Charles Freycinet tout d’un coup improvisé ministre de la guerre du GOUVERNEMENT DE LA DÉFENSE NA-TIONALE et de ce fait confronté à une déroute où la pagaïe et la démoralisation préfigurent juin 1940.
Sans aucune instruction particulière, Freycinet confie à Gaïffe la mission de faire en Suisse ce qu’il est possible d’y faire au bénéfice de l’armée en retraite et de la République. Adolphe Gaïffe va donner là toute la mesure de son tempérament : sans consignes réelles, devant tout improviser au petit bonheur la chance, il négocie le reflux en Suisse de l’armée Bourbaki, ce qui n’est pas évident car cette armée est frappée par la variole et le typhus. Grâce au succès de cette mission, 87.847 hommes en déroute, 11.800 chevaux sans crinière (les bêtes n’ayant plus rien à manger s’entredévoraient le crin) et 285 canons trouvèrent refuge en Suisse le 31 janvier où ils sont désarmés le 1er février. Adolphe Gaïffe a été chargé de cette mission car il possède, dans le canton de Vaud, le château d’Oron depuis le mois d’août 1870. Il subit en cette affaire le choc de sa vie. Ce qui le bouleverse, ce n’est pas tant la détresse des soldats dont il avait déjà pris conscience au cours des mois précédents que la qualité de l’accueil qui leur est réservé, malgré la peur légitime de la variole et du typhus, dans une Suisse loin de connaître la prospérité qui est la sienne aujourd’hui : un immense élan de solidarité, venant des associations, des Autorités cantonales et de l’ARMÉE FÉDÉRALE y a transformé écoles, églises et temples en hôpitaux improvisés pour les 12'000 malades et blessés. Des particuliers cordiaux et généreux reçoivent chez eux les vaincus malgré les risques de contagion.
Adolphe Gaïffe qui va rester plusieurs mois sur place pour participer au rapatriement des vivants et à l’inhumation des morts en vient à considérer que la Suisse est devenue sa patrie de cœur. Il voudrait y fixer sa résidence... Au même moment meurt Agénor de Gasparin d’une maladie contagieuse contractée en soignant des blessés dans sa maison suisse qu’il avait transformée en infirmerie.
La mission Gaïffe va se terminer le 22 août 1872 avec le rapatriement vers la France des dernières pièces d’artillerie parquées en Suisse, à l’exception de quelques unes offertes en cadeau à l’arsenal de Morges car elles étaient considérées comme techniquement novatrices pour l’ époque.

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Entre temps, Daniel, le deuxième fils d’Adolphe et de Marie-Eugénie, était né le 15 août 1871 dans les bâtiments des thermes français de Divonne (Ain) où la famille Gaïffe s’était provisoirement installée en attendant de pouvoir le faire au château d’Oron, en mauvais état d’une part et, d’autre part, mis sans dessus dessous par le casernement des internés de l’Armée Bourbaki.
La défaite de 1870/1871 avait renforcé en France le clan anti-protestant au prétexte que si la France avait été vaincue, elle ne l’avait été que du fait de la barbarie allemande et de la trahison d’une partie de la nation. Se sentant directement visés, le grammairien juif Michel Bréal et l’historien protestant Gabriel Monod publient en 1872, le premier quelques mots sur l’instruction publique, le second Allemands et Français. Reprenant la célèbre formule d’Ernest Renan, ils défendent tous deux la thèse selon laquelle c’est le maître d’école allemand qui a gagné la guerre. Sans construction intellectualiste, Adolphe Gaïffe reprend et développe cette thèse dans ses articles et il y ajoute l’exemple de la Suisse : les maîtres d’écoles allemands et suisses bénéficient de l’obligation scolaire que la France est encore incapable d’imposer. Imprégnés des idéaux de la Réforme, ils éduquent aussi les filles et favorisent leur égal épanouissement intellectuel (1872).
La Suisse justement, c’est d’abord pour Gaïffe : Oron, le cœur de la région de la Haute Broye, du nom de la rivière qui y a creusé sa vallée jusqu’à Payerne avant de finir dans le lac de Morat. Un remarquable château fort fut implanté là, au Moyen Âge, pour verrouiller la route qui relie depuis l’époque romaine l’Italie aux pays rhénans. Ruiné par les prodigalités du dernier comte de Gruyère en 1555, ce château passa de mains en mains et était quasiment à l’abandon lorsqu’Adolphe Gaïffe le découvrit pour le remettre en état. Il transforma la salle des chevaliers en une superbe bibliothèque et salle de lecture où il passait les plus heureux moments des mois d’été qu’il pouvait passer en Suisse, Paris demeurant son lieu d’activités principal.
Avec l’aide de Félix Solar, homme d’affaire parisien contesté mais bibliophile reconnu, Adolphe Gaïffe acquit les ouvrages les plus intéressants disponibles sur le marché d’alors, ainsi que la bibliothèque du comte Potocki, une bibliothèque de romans, absolument unique dans la mesure où s’y trouvent la plupart des titres publiés en français entre 1775 et 1825 (souvent même il s’agit des seuls bexemplaires connus). Cette collection unique s’est peu à peu enrichie de tous les ouvrages dédicacés envoyés par leurs auteurs à Adolphe Gaïffe dont ils espéraient un article bienveillant ! C’est ainsi que seize mille ouvrages de grande valeur constituent aujourd’hui l’orgueil de la bibliothèque du château d’Oron.
A côté de cet ensemble littéraire et des ouvrages qu’il offrait à la SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DU PROTESTANTISME FRANÇAIS (SHPF), Adolphe Gaïffe s’est aussi progressivement constitué une très remarquable collection d’ouvrages anciens concernant les débuts de la Réforme, considérée en son temps comme l’une des trois ou quatre plus précieuses bibliothèques du protestantisme français : ce n’est pas le nombre des volumes qui fait la valeur de cette collection, écrivait en 1901 le président de la SHPF , mais leur qualité. Il y a là des exemplaires uniques, comme le serment exigé des bourgeois de Genève au début de la Réforme… On y trouve les premières éditions de l’Institution chrétienne, les premiers ouvrages de Viret, un psautier de 1532… Plusieurs de ces éditions sont rarissimes. Et ce qui fait le mérite de cette collection, c’est que tous ces livres, sur lesquels trois siècles et demi ont passé, sont dans un admirable état de conservation…La constitution de cet ensemble avait demandé à Adolphe Gaïffe cinquante ans de recherches et d’efforts financiers. Inquiet de voir ses fils y porter peu d’attention, déçu par un certain manque d’intérêt de la part des protestants français et des grandes institutions parisiennes, craignant de voir sa collection dispersée, Adolphe Gaïffe la vendit en 1901 au professeur genevois Ernest Stroehlin afin que soit assurée sa pérennité.


Les invitations estivales firent l’ordinaire du château d’Oron, en particulier celui d’élèves de Margueritte Long qui aimèrent y jouer sur l’un des pianos de Frédéric Chopin qu’Adolphe Gaïffe avait acquis pour son salon de musique. Tout le monde se rendait au culte le dimanche matin en calèches découvertes et la famille du pasteur, si elle était libre, était invitée à partager ensuite le déjeuner au château.
Adolphe Gaïffe fut couvert d’honneurs : croix de Genève, chevalier de la Légion d’honneur (France), chevalier de l’Ordre de la Conception (Portugal), grand officier de l’Ordre du Med-jidié (Turquie), doyen des Chevaliers des Saints Maurice et Lazare (Royaume du Piémont, puis d’Italie), commandeur de l’Étoile polaire (Suède et Norvège).
Comme son compatriote de cœur, Frantz Mayor de Montricher, Adolphe Gaïffe avait un attachement tout particulier au Psaume LXIII : Ô Dieu ! Tu es mon Dieu fort… je Te cherche au point du jour !... Mon âme a soif de Toi… Ta gratuité est meilleure que la vie… mon âme s’est attachée à Toi…Et il aimait relire les commentaires du pasteur Horace Monod sur ce Psaume. Il mourût dans la paix à Paris, en son domicile du 4 de l’avenue d’Eylau, le 27 octobre 1903.
Le partage de ses biens qui eût lieu au début de l’année suivante laissa le château d’Oron à son deuxième fils, Daniel qui y maintint la tradition d’accueil et de générosité de sa famille (comme l’avait fait son père pour Oron, il offrit à son tour, en 1913, un orgue - cette fois ci au village de Châtillens, tout proche d’Oron).

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Jeanne-Alice Paquelier

Bien qu’il ne réussit jamais à avoir un emploi stable (il fut tour à tour, et avec un égal insuccès : employé de banque, diplomate occasionnel, promoteur, etc...) Daniel Gaïffe épousa à Paris, le 15 mars 1905, Jeanne-Alice Paquelier issue d’une famille de commerçants bourguignons aisés. Ce mariage fut l’occasion de retrouvailles pour de très nombreux hommes de lettres amis de la famille.
Alice, née à Chalon-sur-Saône le 29 avril 1873 et décédée à Nice le 24 novembre 1944, fut à Paris l’élève de Madame Debillemont-Chardon et a laissé un nom dans l’histoire de l’art comme miniaturiste sur ivoire. L’essentiel de son oeuvre se trouve aujourd’hui au MUSÉE DENON de sa ville natale (quelques miniatures et aquarelles d’Alice Paquelier-Gaïffe sont néanmoins conservées au château d’Oron où sa chambre, reconstituée, se visite).

Madame Paquelier-Gaïffe avait, pour «neveu» de fait sinon de naissance le pianiste Émile Baume (Toulon 1903 / Paris 1992), le fils de sa meilleure amie, Madame Anne Pissère-Baume. Entre les deux guerres mondiales, celui-ci venait passer ses étés à Oron travailler son piano. Émile Baume mena une brillante carrière de pianiste en Europe et aux États-Unis (son interprétation en 1960, puis en 1961 - en deux fois sept récitals - de l’intégralité des œuvres pour piano seul de Frédéric Chopin,pour la commémoration du cent cinquantième anniversai-re de la naissance du compositeur, fit date). Or l’œuvre de Chopin, Baume l’avait rencontrée dans le salon de musique du château d’Oron où Adolphe Gaïffe avait installé l’un des pianos du compositeur virtuose acheté à Paris après le décès de l’artiste. Adolphe Gaïffe, en effet, était très proche du mouvement artistique dit «Jeune Pologne» qu’il a soutenu à Paris du milieu du XIXème siècle à sa mort : c’est pourquoi le plus beau portrait de Gaïffe fut exécuté par un des artistes majeurs de ce mouvement qui était aussi son ami, Teodor Axentowicz (1859/1938).
Mais la roue de la fortune allait tourner… Daniel Gaïffe se lança dans des opérations hasardeuses. Associé à la mise en œuvre du chemin de fer de Djibouti à Addis-Abbeba, il y connut, malgré le soutien du Négus, les infortunes des incertitudes africaines. Pionnier du métro de Turin, il y engloutit une grande partie de sa fortune dans le désastre de cette entreprise. La crise de 1929 puis l’affaire Stavisky allaient faire fondre le reste comme neige au soleil et, ruiné, Daniel Gaïffe dut céder le château d’Oron, le 16 octobre 1936, à l’Association qui en assure depuis lors l’heureuse conservation et l’ouvre aux visiteurs.

UNE MÉMOIRE CONSERVÉE

On pourrait penser qu’avec le temps le souvenir d’Adolphe Gaïffe a disparu : n’est-ce pas là le sort réservé à la plupart des journalistes qui, par nature, sont les littérateurs de l’éphémère ? En fait, il n’en est rien. D’abord parce que le château d’Oron conserve une partie de son mobilier et le cœur de sa très remarquable bibliothèque, ensuite parce que La-Roque-d’Anthéron entretient son souvenir avec fidélité.
Oron, tout le monde comprend pourquoi. Mais La-Roque-d’Anthéron, ce village des bords de la Durance où Gaïffe n’a sans doute jamais mis les pieds ? C’est effectivement là chose étonnante qui mérite d’être contée.
Un préalable s’impose pour comprendre la relation d’Adolphe Gaïffe avec ce village situé à vingt-cinq kilomètres au nord d’Aix-en-Provence : c’est le seul village vaudois situé sur la rive gauche de la Durance (vaudois ici ne signifie pas «du canton de Vaud», mais peuplé de disciples de Pierre Valdo, ce réformateur lyonnais du XIIème siècle prêchant la pauvreté, le retour à l’Évangile, le refus des sacrements et celui de la hiérarchie ecclésiastique). Excommuniés dès 1180, repérés par l’Inquisition en 1530, les vaudois de Provence furent massacrés en 1545 (une exposition permanente raconte pourquoi et comment dans le temple du village – d’autres souvenirs sont conservés au MÉMORIAL VAUDOIS et HUGUENOT situé à quelques centaines de mètres de là). Les habitants de La-Roque-d’Anthéron qui purent échapper au massacre prirent la fuite par de discrètes routes alpines. Ils arrivèrent en Suisse et, via Oron, gagnèrent le Wurtemberg, lieu de fixation définitive pour certains, tremplin d’un nouveau départ pour d’autres.
Une seconde vague d’émigration, par le même itinéraire, eût lieu après la Révocation de l’ Édit de Nantes, en 1685.
En sens inverse, au XIXème siècle, de nombreux Suisses participèrent à l’essor de la ville de Marseille, en particulier Frantz Mayor de Montricher, né en 1810 près de Morges : il conçut et réalisa le canal de Marseille qui apporta à la ville une pluie horizontale salvatrice via le célèbre aqueduc de Roquefavour. La-Roque-d’Anthéron fut le siège d’un chantier important lors de la construction de ce canal (1837/1848) : Montricher y utilisa le temple pour apprendre à lire à ses ouvriers dans la Bible vaudoise du lieu et pour leur inculquer les rudiments de l’art de l’ingénieur. Ce temple s’est enrichi en 2000 du baptistère et de la table de communion de l’ancienne ÉGLISE PROTESTANTE SUISSE DE MARSEILLE. Face à ce baptistère et à cette table, une tribune porte depuis 2003 l’orgue WALCKER opus 348, construit au Wurtemberg et venu là après avoir servi quatre vingt quinze ans à Oron… Cet orgue y est donc le symbole d’un extraordinaire chassé-croisé de l’Histoire entre la Provence et le Wurtemberg, chassé-croisé dont Oron fut le point d’équilibre !
C’est qu’en 1877, au château d’Oron, Marie-Eugénie Renon-Gaïffe, alors âgée de trente et un ans, a donné naissance à son troisième enfant : Louise(1). Pour l’époque la mère n’est plus toute jeune et un accouchement difficile est pronostiqué. Il n’en fut rien : tout se passa pour le mieux avec une superbe petite fille et une maman retrouvant très vite sa vitalité coutumière. Adolphe Gaïffe voulut alors, par un acte d’éclat, manifester publiquement sa gratitude à Dieu.
Adolphe Gaïffe désirait aussi depuis longtemps témoigner par un geste fort son attachement à cette Suisse si généreuse vis-à-vis de l’ARMÉE DE L’EST six ans plus tôt. Que faire ?
Les pasteurs d’Oron, Paul Leresche jusqu’en 1874, puis Alphonse Dumas, se plaignaient de la difficulté qui était la leur pour faire chanter correctement leurs fidèles aux offices malgré le concours d’un chantre, d’un joueur de hautbois et d’un autre de cornet venant tous les trois du village voisin de Palézieux. Ayant ces plaintes en tête, Adolphe Gaïffe se rendit alors chez le pasteur Dumas avec 3.500 Francs d’une main et un texte latin dans l’autre. Il lui expliqua qu’il connaissait un facteur d’orgue allemand chez qui son ami Théophile Gautier avait été reçu en 1858. Il lui dit que ce facteur, installé à Louisbourg, en Wurtemberg, était célèbre pour ses instruments spécialement conçus pour l’accompagnement du chant et que les 3.500. Francs couvriraient le prix d’un orgue à cinq jeux. Gaiffe précisa qu’il ne financerait pas lui-même l’installation de l’orgue dans le temple pour que les paroissiens d’Oron s’approprient l’instrument par un effort qui leur soit propre. Et Gaïffe fit part d’une exigence particulière: il voulait que l’expression de sa foi soit publique et s’exprime par un texte en latin à graver sur une plaque de cuivre devant être fixée au dessus du clavier de l’instrument (plus tard cette plaque fut remplacée par un panneau de fibrociment bordé de lys peints par référence au verset 28 du chapitre VI de l’Évangile de Matthieu : …pourquoi vous inquiéter ? Observez les lis des champs, comme ils croissent ; ils ne peinent ni ne filent, et Je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux !). Voici la traduction de cette inscription latine:

A.D. GAÏFFE
a commandé cet orgue & en a fait don à la paroisse d’Oron
[en témoignage de gratitude] pour l’heureuse naissance de
sa fille Ludovica Maria Melissanda et pour la santé rendue
dans son intégrité et sa pleine énergie à son épouse Maria
Eugenia, s’acquittant ainsi de ses actions de grâce à Dieu
en l’année 1877 de notre Seigneur, le 20 juillet.

Un an plus tard, l’orgue était achevé et prenait à rebours la route des vaudois fuyards pour gagner Oron où Eberhard Walcker fils le monta du 14 au 19 août 1878. La réception des travaux fut faite le 19 sous la direction de Monsieur Blanchet, organiste titulaire de Saint-François à Lausanne. Puis ce furent la dédicace de l’instrument et le concert inaugural donné par trois organistes aveugles, Messieurs Budry, Delessert et Valadié, le 25 août 1878
Presqu’un siècle plus tard cet orgue devait quitter Oron pour être mis dans un musée suisse des orgues alors en préparation. En effet, l’instrument a été construit d’une manière tout à fait remarquable et représente un sommet de la facture de son temps. C’est alors que Monsieur Daniel Martinet (Oron-la-Ville 1905/1986), pharmacien et créateur de spécialités vétérinaires à Oron décida d’acquérir l’instrument pour l’offrir, transfert et reconstruction compris à l’ ÉGLISE RÉFORMÉE DE FRANCE D’ENDOUME (Marseille-VIIème). Il fit ce geste généreux en mémoire des plus heureuses années de sa vie passées dans la paroisse d’Endoume par son fils, Jean Martinet (Oron-la-Ville 1933 / Yverdon 1985) qui y fut pasteur de 1961 à 1966 avant de l’être à Yverdon, puis à Grandson.
La chapelle d’Endoume ayant été intégrée dans l’école protestante du lieu, l’ÉGLISE RÉFORMÉE DE FRANCE MARSEILLE GRIGNAN CENTRE SUD offrit l’orgue WALCKER 348 en 2002 au temple de La-Roque-d’Anthéron (Bouches-du-Rhône) où la municipalité le fit transférer et reconstruire en 2003 après y avoir érigé une tribune. La dédicace de l’ instrument a eu lieu le samedi 4 et le dimanche 5 octobre 2003 en présence de la famille Martinet, des Autorités locales et de huit organistes dont deux venus de Suisse. Ce fut l’occasion de rappeler la vie ardente d’Adolphe Gaïffe dont une vitrine conserve la photographie ainsi qu’un exemplaire de salmis de nouvelles et divers documents.
Un autre clin d’œil de l’histoire s’est manifesté à cette occasion : le facteur choisi pour transférer l’orgue de Marseille à La-Roque-d’Anthéron, puis pour le reconstruire, fut, du fait du hasard, Alain Sals qui, dans ses débuts professionnels avait participé à la construction de l’orgue de l’église de la Réconciliation de la COMMUNAUTÉ DE TAIZÉ dont le prieur, avait joué jeune homme sur l’orgue WALCKER 348 puisque son père n’était autre que le pasteur Charles Schutz, en poste à Oron de 1927 à 1939, et sa mère Madame Amélie Marsauche-Schutz l’organiste d’Oron pendant ces douze années là !
Ainsi donc, en ce XXIème siècle, le temple de La-Roque-d’Anthéron entretient-il le souvenir des vaudois, fuyards secourus à Oron ; des Gaïffe, châtelains à Oron soixante-six ans durant ; de Montricher, un des Suisses les plus célèbres de France ; des Vaudois venu chercher leur avenir en Provence au XIXème siècle ; et, plus généralement d’une solidarité franco-suisse qui perdure au fil des ans au travers d’échanges et de visites réciproques pluriannuelles…

BIBLIOGRAPHIE

Les copies de tous les documents ayant servis à la rédaction et à l’illustration de ce texte, ainsi que quelques originaux, sont déposés au MÉMORIAL VAUDOIS & HUGUENOT , place Paul Cézanne à La-Roque-d’Anthéron (Bouches-du-Rhône - France).

Archives

ARCHIVES DE PARIS _ Dossier Gaïffe.
ARCHIVES MUNICIPALES de Chalon-sur-Saône - État Civil.
ARCHIVES MUNICIPALES de Divonne-les-bains - État Civil.
ARCHIVES MUNICIPALES de Mulhouse - Dossier Gaïffe.
ARCHIVES MUNICIPALES de Nancy - Dossier Gaïffe.
ARCHIVES MUNICIPALES du XVIème arrondissement de Paris - État Civil.
ARCHIVES MUNICIPALES de Toulon - État Civil.
ARCHIVES d’Oron-le-Châtel - État Civil.
ASSOCIATION POUR LA CONSERVATION DU CHÂTEAU D’ORON - Dossier Gaïffe (actes des partages de 1904, diverses correspondances, divers actes de cession, divers inventaires, photographies), aquarelles et miniatures, portraits, bibliothèque, mobilier, études historiques.
Madame Graziella BAUME (Paris) - Documents personnels relatifs à Émile Baume.
MAIRIE DE NICE - État Civil.
Madame Suzanne MARTINET (Aix-en-Provence) - Documents personnels.
MÉMORIAL VAUDOIS & HUGUENOT (La-Roque-d’Anthéron) - Collection Becker (ouvrages de et sur Adolphe Gaïffe, documentation sur les Reclus, documents et objets cunas ; documents divers).
MUSÉE D’ART & D’HISTOIRE de Neuchâtel - Documents, peintures et objets relatifs à l’accueil de l’Armée de l’Est en 1871.
MUSÉE CARNAVALET, 23-29 rue de Sévigné à Paris - dossiers : Étienne Carjat, Félix Tournachon (Nadar).
MUSÉE DENON de Chalon-sur-Saône - Fonds Alice Paquelier-Gaïffe.
Monsieur Marcel PAQUELIER (Louhans) - Documents personnels.
Périodiques
Bulletin de l’ASSOCIATION POUR LA CONSERVATION DU CHÂTEAU D’ORON
Années : 1993, 76 p. ; -2001, 72 p.
Bulletin historique et littéraire de la SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DU PROTESTANTISME FRANÇAIS : Années : 1893 (tome XLII), 1901 (tome L), 1903 (tome LII) la bibliothèque protestante d’Adolphe Gaïffe.
La Nature, deuxième semestre 1881, page 366 - Le couple au sulfate de cuivre de Gaïffe.
La Tribune de Saône-et-Loire, 20 février 1946 - nécrologie d’Alice Paquelier-Gaïffe.
Le Courrier, 11 octobre 1985 - l’orgue offert par Daniel Gaïffe.
Le Courrier de Saöne-et-Loire, 8 mai 1908, 18 mai 1908 - Alice Paquelier-Gaïffe expose à Paris, au SALON DES ARTISTES FRANÇAIS.
Rétro-phonia, juillet 2000 - une annonce y propose la vente d’un appareil électro-physiologique Gaiffe de 1900.

Ouvrages

BANVILLE Théodore de :
Odelettes, Paris, 1856 - un poème y est consacré à Adolphe Gaïffe..
Odes funambulesques, Paris, 1858- le poème « Nadar » y parle de « Gaiffe, dont la joue est neige, ivoire et lys / Et la lèvre cerise ».
Occidentales, Paris, 1862 _ « …Si Gaïffe est toujours beau, Monselet est joli... ».
BAUDELAIRE Charles : Correspondance
Tome I : 1832/1860, 1.114 p., septembre 1973
Tome II : 1860/1866, 1.149 p., octobre 1973
Bibliothèque de la Pléiade, GALLIMARD, Paris.
BECKER Alain : Petite histoire de l’orgue WALCKER 348 du temple de La-Roque-d’ Anthéron, 75 p., MÉMORIAL VAUDOIS & HUGUENOT, La-Roque-d’Anthéron, 2003.
CABANEL Patrick : les Protestants & la République de 1870 à nos jours, 271 p., collection LES DIEUX DANS LA CITÉ, ÉDITIONS COMPLEXE, Bruxelles, mars 2000.
CABAUD Michel : Paris et les parisiens sous le Second Empire, 319 p., BELFOND, Paris, octobre 1982 publie une photographie d’Adolphe Gaïffe.
CLARÉTIE Jules : La vie à Paris (1901/1905), bibliothèque Charpentier, EUGÈNE FAS-QUELLE, Paris, 1904 parle du charme d’Adolphe Gaïffe.
COMMISSION DU 3 FÉVRIER : 1871/1971 centenaire de l’entrée de l’armée du géné-ral Bourbaki en Suisse, tiré à part du MUSÉE NEUCHÂTELOIS, n°1, 1971, consacré aux événements de 1870/1871, 123 p., IMPRIMERIE CENTRALE, Neuchâtel, 1971 (contributions de : Auguste BACHELIN, Eddy BAUER, Alfred DUPASQUIER, Henri FURRER, Rose HENRIOT, Hanz Rudolf KURZ, Louis MARTIN, Magdeleine de MONTMOLLIN, Lucien ROBERT, Edmond RÖTHLISBERGER et Alfred SCHNEGG).
CURINIER C.E. : Dictionnaire national des contemporains, 6 tomes, Paris, 1901/1906 notice sur Adolphe Gaïffe.
DAUDET Léon : Souvenirs et polémiques, 1398 p., bouquins, ROBERT LAFFONT, Paris, octobre 1992 Chez Dumas fils « Vous avez bien connu Gaïffe… ? ».
DAVALL E. : Les troupes françaises internées en Suisse à la fin de la guerre franco-alle-mande en 1871, 313 p., cartes & tableaux, DÉPARTEMENT MILITAIRE FÉDÉRAL, Berne, 1873.
DWYER Barry et Helen : Index biographique français, Tome II, 1.076 p., K.G. SAUR, London, 1993 notice sur Adolphe GaIffe.
FIGUIER Louis : Les merveilles de la science, tome II , 703 p., FURNE JOUVET ET Cie, Paris, 1870.
GAIFFE Adolphe : il s’agit ci-après de «l’autre» Adolphe Gaïffe !
Haute fréquence, 31 p., fig., pl., CHARAIRE , Sceaux, sd.
Utilisation des secteurs électriques à courants alternatifs, transformateurs universels à voltage variable, galvanocaustie, lumière, courant sinusoidal, 8 p., CHARAIRE, Sceaux, sd.
Exposition universelle de 1878 : notice sur quelques instruments et appareils exposés par A. GAIFFE, 38 p., fig., J. DUMAINE, Paris, 1878.
Exposition internationale d’électricité ‘Paris, 1881 notice sur quelques instruments et appareils exposés par A. GAIFFE, 50 p., fig., BAUDOIN, Paris, 1881.
Catalogue descriptif du matériel électrothérapique, 94 p., CHARAIRE & FILS, Sceaux, 1885 cet ouvrage, très recherché par les collectionneurs, était proposé à la vente pour 450.€ en mars 2003 par la LLIBRERIA ANTIQUARIA COMELLAS, Rambla de Catalunya 6 1er 1a, Barcelone.
Sismothérapie, appareils et excitateurs divers, 16 p., fig., pl., E. CHARAIRE , Sceaux, 1900.
GASPARIN Agénor de : Appel au patriotisme et au bon sens, 48 p., GEORG, Genève et Bâle, 1871.
GAUTHIER Théophile, PICHAT Laurent, DÉLESSERT Ed., ULBACH L., BERRON, de CORNEMIN Louis, GAÏFFE Adolphe, JOURDAN Louis, du CAMP Maxime : Salmis de nouvelles, 355 p., LIBRAIRIE NOUVELLE, Paris, 1853 ouvrage in-18, rare, proposé relié à 50.€ en mars 2003 par la librairie d’occasion BRICABRAC. Adolphe Gaïffe y a rédigé les pages 255 à 270 dédicacées à son ami le baron de Vaux (celui-là même qui servira de modèle à Guy de Maupassant pour bel ami).
GONCOURT Edmond & Jules :
Les hommes de lettres, DENTU, Paris, janvier 1860 Adolphe Gaïffe y est décrit sous le nom de « Florissac » ;
Charles Demailly, LIBRAIRIE INTERNATIONALE, LACROIX & VERBOECKHO-VEN, Bruxelles, Leipzig et Livourne, 1868 reprise du titre précédent avec quelques variantes ;
Charles Demailly _ reprise des deux titres précédents avec quelques variantes ;
Journal, tome I, 1851/1865, 1.219 p., bouquins, ROBERT LAFFONT, Paris, décembre 1989 On y trouve Adolphe Gaïffe à de nombreuses dates, dont les suivantes : janvier 1853, 20 mai 1854, 16 mai 1856, 8 juillet 1856, 14 juillet 1856, 1er août 1856, 4 novembre 1856, 3 juin 1857, 12 juin 1857, 1er décembre 1857, 4 mars 1858, 17 février 1859, mars 1859, 13 avril 1859, 20 avril 1859, 27 avril 1859, 4 septembre 1859, 6 novembre 1859, 10 janvier 1861, 31 mars 1861, 7 avril 1861, 13 avril 1861, 27 avril 1861, 7 juin 1861, 12 juin 1861, 30 décembre 1861, janvier 1862, 27 mars 1862, 25 août 1863, 10 novembre 1863.
Journal, tome III, 1887/1896, 1.469 p., bouquins, ROBERT LAFFONT, Paris, décembre 1989 Adolphe Gaïffe y est cité à deux reprises, dont le 10 février 1887.
GONCOURT Edmond et Jules, HOLFF Cornélius : Mystère des théatres 1852, LIBRAIRIE NOUVELLE, Paris, 1853 page 52 : «Gaïffe, le plus spirituel des feuilletonistes ».
HOUSSAYE Arsène : Confessions, Paris, tome III, page 39 : il montre Adolphe Gaiffez menant joyeuse vie et tenant bonne table.
HUGO Victor : Choses vues (souvenirs, journaux, cahiers) 1830/1885, texte présenté, établi et annoté par Hubert Juin, 1.421 p., QUARTO, GALLIMARD, Paris, décembre 2001.
MAURRAS Charles : Au signe de Flore. La fondation de l’ACTION FRANÇAISE, 1898/ 1900 texte antiprotestant de 1897 publié en 1930 par LES ŒUVRES REPRÉSENTATIVES.
MONSELET Charles :
La lorgnette littéraire, dictionnaire des grands et des petits auteurs de mon temps, POULET-MALASSIS & DE BROISE, Paris, 1857 notice sur Adolphe Gaïffe.
Les tréteaux (recueil d’articles parus dans le Figaro), 268 p., POULET-MALASSIS & DE BROISE, Paris, 1859 dans «la distribution des prix» (page 247 et suiv.), Monselet imagine un «concours général» récompensant les plus beaux esprits de l’époque parmi lesquels il dis-tingue : Jules Barbey d’Aurevilly, François Buloz, Paul Féval, Gustave Flaubert, Adolphe Gaïffe, Théophile Gauter, Edmond & Jules de Goncourt, Arsène Houssaye, Jules Janin, Paul Meurice, Henry Murger, Sainte-Beuve, Paul de Saint-Victor, Hippolyte Taine et Taylor.
MUSÉE DE CHALON-SUR-SAÔNE : Catalogue de la Section des Beaux-Arts (peintures, dessins, sculptures), MUSÉE VIVANT-DENON, Chalon-sur-Saône, 1963 Notice sur Alice Paquelier-Gaïffe.
PR_VOST M., d’AMAT Roman et TRIBOUT DE MOREMBERT H. : Dictionnaire de biographie française, tome XV, LETOUZEY et AN, Paris, 1982 Notices sur les Gaïffe.

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1 = La trace de Louise Gaïffe s’est rapidement perdue. Le dernier document incontestable que nous avons pu retrouver à son sujet est l’acte de partage concernant le château d’Oron, passé le 17 août 1904 devant maître William Gilliéron, notaire à Oron-la-Ville (document de l’ASSOCIATION POUR LA CONSERVATION DU CHATEAU D’ORON) où il est fait état de son mariage avec un officier de cavalerie : Louis Féline :

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