Château d'Oron: La famille Roberti

Après la Révolution vaudoise qu'advient-il du château d'Oron ?

Alors qu'en mai 1804, le Grand Conseil adopte un rapport relatif à la vente des châteaux, soit : « qu'il paraît convenable de suspendre la vente de quelques greniers et châteaux jusqu'à ce que le Canton soit bien assuré que ces édifices ne lui seront pas nécessaires ».Pour Oron il est déjà trop tard, la vente a déjà eu lieu. L'antique manoir des Sires d'Oron, devenu une simple prison de district pour détenus de droit commun, ne représente plus aux yeux du sous-préfet du district, Jean-Daniel Gilliéron « qu'une énorme masse qui va dépérir et que l'usage qu'on en fera ne dédommagera pas les frais de maintenance pour peu qu'on en puisse tirer parti ». Son estimation officielle... « il ne devrait guère plus coûter qu'une bonne maison de paysan qui peut aller de trois à quatre mille livres ». Enfin après diverses tractations et intrigues, la Municipalité d'Oron allant jusqu'à porter plainte contre le ministre des finances, Rothpletz, l'accusant de tenter une vente clandestine, le gouvernement helvétique, par décret du 9 février 1801, par la voix de son Conseil législatif, ordonne la vente du château d'Oron et des terres en dépendant, dans le district d'Oron, au canton du Léman, pour la somme de 47'000.- francs.

L'adjudicataire est Jacques-Abram ROBERTI, avocat, ancien commandant de la ville de Moudon, qui l'achète par acte notarié du 21 août 1801.

ROBERTI ou ROBERTY, famille très ancienne de Moudon est déjà citée dès 1338. On lui attribue une origine italienne, de Côme. Selon des recherches effectuées par un membre de cette famille - entre 1925 et 1927 - afin d'établir une généalogie, on trouve aux Archives Cantonales Vaudoises, des notes qui précisent que l'y de la branche française de Normandie, provient d'une erreur de copie d'un acte officiel, la signature de Victor Roberty, ou plutôt le paragraphe ayant été pris pour un y. Il est authentique depuis quatre générations affirme G. Roberty descendant de Victor Roberty.

Les Roberty de Provence, qui existent encore en 1925, auraient possédé le château de Roberty, près d'Avignon, ayant appartenu à Joseph Roberty (1604). Le château passe ensuite dans la famille Polier, était-ce la branche vaudoise des Polier, dont on sait, que certains membres ont servi en France? En 1925, le propriétaire du château est un M. Thomas, qui ne peut donner qu'une seule indication, ne possédant pas d'archives; son ancêtre a acheté, au 18e siècle, la propriété à un M. Polier.

Jacques-Abram Roberti, avocat, juge de Paix, député au premier grand Conseil de 1803, est un homme tout à la fois, charmant, mais aussi sévère et austère dans l'exercice de ses fonctions de juge et d'avocat.

A Moudon, en 1790, l'avocat Roberti est victime d'une agression! Dans la chronique de Palézieux, Walter Lacher, relève : - Après la confusion de l'ère révolutionnaire, on renoua soigneusement tous les fils. Les lettres des préfets ne diffèrent guère de celles des baillis. Le bailli de Diesbach était très mécontent lorsque, passant à Palézieux il apercevait « un cochon dans la rue ». Je déplore, déclarait-il, le peu d'ordre qu'il y a dans votre lieu». Le juge de Paix Roberti ne se montre pas moins offusqué. « Il ne vient à l'esprit de personne, hors Palézieux, que l'on puisse voir d'un oeil sec et froid et avec une âme sereine tels désordres sans aviser au moyen de les arrêter », écrit-il à propos des porcs qu'on laisse en liberté sans prendre la précaution de les ferrer (1803). Revenant plus tard sur la question, il s'écrie : « Veuillez donc, citoyens, rendre à votre règlement le ressort qu'il a perdu» (1808). Que voilà un langage élégant et martial!

Mais découvrons maintenant, le châtelain Roberti, qui accueillait galamment invités et amis, qu'il conviait à des concerts, des discussions littéraires et à des bals très appréciés, où la jeunesse venait s'ébattre et s'amuser.

L'avocat Roberti savait aussi tourner avec élégance, un compliment, une lettre, exemple, la lettre suivante qu'il adresse à Pauline Jan à Châtillens, qui deviendra l'épouse de Louis Jan, Conseiller d'État.

Château d'Oron, août 1810

Mademoiselle,

Vous êtes venue dans mon voisinage, faire appeler mon menuisier Christian, pour le charger d'ouvrage.

Quelle que soit ma jouissance au spectacle des beautés, vous avez bien voulu, sans cependant avoir le coeur cruel, me priver de cet avantage : C'est un bien que vous m'avez ravi pour vous soustraire à un léger sacrifice.

Quoique vous ayez droit à l'exemple de la générosité, je m'empresse de le contester avec vous, et je vous céderai volontiers mon artisan puisque vous le desirés, mais c'est sous l'expresse condition qu'il finira chez moi quelques ouvrages. Si cet article de la capitulation entre nous était propre à me disgracier, je fais d'avance la formelle déclaration que je me place sous la sublîme protection de Mlle Henriette Jan. Veuillés, je vous prie l'agréer. Toutes les qualités merveilleuses qu'elle possède me sont un très sûr garant de votre condescendance à la proposition que j'ai l'honneur de vous faire.

Frédéric Frossard, fils du pasteur d'Oron né en 1804, évoque dans ses souvenirs d'enfance, son passage au château d'Oron : « M. Roberti, n'avait qu'un fils; c'était avec lui que je me plaisais à parcourir les longs corridors et les vastes salles de cette vieille demeure des comtes de Gruyère. Ceux-ci jadis, ne l'habitaient qu'en automne. M. Roberti, qui n'était pas comte, mais simple juge de paix du cercle, y passait bourgeoisement toute l'année. C'est là, qu'après lui s'est écoulée la courte vie de son fils Julien, bon garçon, mais un peu sauvage. »

Julien, en effet, quitte ce monde le 3 octobre 1855 à l'âge de 50 ans. Il reste la figure la plus marquante de cette famille.

Charles Pasche rappelle qu'à une certaine époque, le juge Julien Roberti fût en tractation pour la vente du château d'Oron avec le baron de Bellevue, légitimiste français émigré, le marché fut rompu et de Bellevue paya une dédite de 10'000.- francs anciens, que Roberti consacra à des réparations dont le château avait grand besoin.

Après la création de la commune d'Oron-le-Châtel, qui connaît ses premières limites territoriales en 1820, Julien y assume différentes charges; syndic, juge de paix et président du Conseil général. En 1830, il offre l'ancien grenier du château, désaffecté, appelé anciennement « La Grenatterie « pour en faire une maison d'école. Il existe aux Archives Cantonales Vaudoises, un rapport du Conseil de l'instruction publique, sur l'état des écoles du cercle d'Oron en mars 1841. Voici les détails que donne l'inspecteur, au sujet d'Oron-le-Châtel : « Cette école est loin d'être en bon état quant à l'instruction des élèves; c'est une des plus faibles que j'aie vues cette année. La salle d'école n'a subi aucun changement depuis six ans. Elle est même malsaine par sa petitesse et j'ai dû renvoyer la moitié des élèves pour faire l'inspection sans être incommodé par le mauvais air! L'ameublement est bon; mais il n'y a pas de tables en suffisance et une partie des élèves est rangée sur de petits bancs la tête tournée du côté du mur pour éviter les distractions. Les fournitures sont presque nulles: il n'y a qu'un plancher noir (sic) et deux petites cartes. L'appartement du régent est composé de deux chambres petites, froides et en assez mauvais état: la cuisine fume. L'ensemble du matériel est tel qu'aucun bon régent ne restera à Oron: c'est ce que je me suis efforcé de faire comprendre. Mais on m'a répondu que la commune était pauvre.»

Julien Roberti suit également avec intérêt la prospection des « bassins houillers» vaudois.

La mine, c'est à dire la forêt ensevelie sous terre avec ses richesses minières, pousse périodiquement les vaudois à faire de la prospection. En 1839, Julien Roberti, sollicite une concession, mais c'est essentiellement pour éviter que d'autres fouillent sur son domaine d'Oron-la-Ville et Oron-le-Châtel, ainsi qu'en 1855, au lieu-dit : Bois Léderray. Mais à Oron, on n'est pas très intéressé par ces recherches et Adrien Pichard, ingénieur cantonal, qui en 1831 avait déjà prévu cette réaction, écrit: « Il n'est pas à présumer qu'aucun particulier aisé de cette contrée, qui est toute agricole, soit disposé maintenant à entreprendre cette exploitation, ni surtout à remplir toutes les conditions qu'elle exigerait »

On sait que les mines d'Oron et de Châtillens furent rouvertes pendant la Première et Deuxième Guerre mondiale.

A sa mort, Julien Roberti, laisse deux enfants: Edouard né en 1834 et Géraldine née en 1836. Mais ceux-ci n'éprouvent pas le même attrait que leur père pour cette noble mais coûteuse bâtisse.

En 1863, Edouard, qui succède à son père, vend toutes les terres et les maisons constituant le domaine du château au notaire Auguste Bron, puis en août 1870, le monument lui-même, avec ses servitudes et dépendances, à un industriel français, Adolphe Gaiffe, établi à Paris.

Cette famille l'occupe aussitôt et entreprend la remise en état du château - laissé dans un état de délabrement indicible - et en fait une admirable résidence secondaire.

Elisa Rossier

Sources :

- La Contrée d'Oron par Charles Pasche (1895)

- Le Château d'Oron par Héli Liard (1963 et 1979)

- Texte de Henri Kissling (RHV 1931)

- La chronique de Palézieux par Walter Lacher (1955)

- Un artisanat minier par André Claude (1974)

- L'Evêque Bugnion par Jean-François Mayer (1989)

- A.C.V., K XIII, 147/2

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